Internet et les réseaux sociaux sont massivement utilisés pour la diffusion rapide, à l’échelle mondiale, des messages de propagande et d’apologie du terrorisme. Ces moyens technologiques d’information posent des défis particuliers en raison de leur nature transfrontalière qui permet aux recruteurs et aux personnes radicalisées de communiquer facilement à distance, sans aucune frontière physique.

Pour endiguer ce phénomène, les lois destinées à lutter contre le terrorisme se sont multipliées ces dernières années, notamment la loi n° 2014-1353 du 13 novembre 2014 relative à la lutte contre le terrorisme consécutive à l’affaire Nemmouche(1) et la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale.

I. Des lois adoptées dans le cadre de l’état d’urgence.

Ces lois viennent renforcer le régime d’état d’urgence, prévu par la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 et instauré « en cas de péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public ou en cas d’événements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique» (2). Dans la nuit du 13 novembre 2015, à la suite des attentats de Paris, ayant fait de nombreuses victimes (3), ce régime a été établi par les décrets n° 2015-1475 du 14 novembre 2015 et n° 2015-1493 du 18 novembre 2015 en Conseil des ministres. Il a ensuite été validé par le Parlement réuni, en congrès à Versailles, par la loi n°2015-1501 du 20 novembre 2015. Prorogé à plusieurs reprises et récemment par la loi n°2016-1767 du 19 décembre 2016, son terme est fixé au 15 juillet 2017.

Cet état d’urgence instaure des pouvoirs extraordinaires conférés à l’autorité administrative, tels que la possibilité de recourir à l’assignation à résidence, la perquisition de nuit, l’interdiction des réunions et des manifestations, ce qui n’a pas été sans poser de difficultés lors des manifestations relatives à la loi travail El Khomri du 8 août 2016.

La loi pénale vient renforcer l’état d’urgence pour lutter contre le terrorisme et certaines mesures concernent plus spécifiquement les technologies de l’information de la communication.

A. Les infractions prévues par les lois du 13 novembre 2014 et du 3 juin 2016.

Ainsi, la loi n°2014-1353 du 13 novembre 2014 a tout d’abord axé la lutte contre la propagande et l’apologie du terrorisme sur les réseaux sociaux, accusés de favoriser le passage à l’acte et le recrutement. En effet, selon le ministre de l’intérieur de l’époque, Monsieur Bernard Cazeneuve, dans son discours du 26 janvier 2016 au Forum International de la Cybersécurité (4) la majorité des personnes se seraient radicalisés et auraient été recrutées par le biais des réseaux sociaux, à savoir Facebook, Twitter et YouTube notamment. Par conséquent, la loi n°2014-1353 du 13 novembre 2014 a introduit une nouvelle infraction à l’article 421-2-6, I 2° (c) du Code Pénal pour réprimer la consultation en ligne de sites ou la détention de documents provoquant directement à la commission d’actes de terrorisme ou en faisant l’apologie, dans le but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur. Depuis cette loi, le fait de provoquer directement à des actes terroristes ou d’en faire publiquement l’apologie est punie de cinq ans d’emprisonnement et de 75.000 € d’amende. Les peines sont portées à sept ans d’emprisonnement et à 100.000 € d’amende lorsque les faits ont été commis en utilisant un service de communication au public en ligne.

Si l’apologie du terrorisme consiste à présenter ou commenter favorablement des actes terroristes déjà passés, pour être réprimée, l’apologie doit avoir été faite publiquement, notamment sur un réseau social ouvert au public. En revanche, pour la provocation au terrorisme, qui vise à convaincre d’autres personnes de commettre des actes terroristes futurs, matériellement déterminés, en visant tel lieu ou telle personnalité, il n’est pas nécessaire que de tels propos aient été tenus devant un large public. Des propos lisibles par quelques amis, sur un réseau social ou prononcés lors d’une réunion privée, peuvent être réprimés. Dans la pratique judiciaire, il est rapidement apparu que la mise en œuvre des poursuites pénales, qui nécessitait la démonstration de la participation active de l’individu à un réseau terroriste, rendait difficile la condamnation des personnes se livrant à la provocation ou à l’apologie d’actes terroristes, l’acte devant avoir pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur et devant être commis intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective terroriste.

Ainsi, le législateur est intervenu rapidement, avec la loi Urvoas n°2016-731 du 3 juin 2016 pour améliorer l’efficacité de la procédure pénale et créer deux nouvelles incriminations. Selon le nouvel 421-2-5-2 du Code pénal, le fait de consulter habituellement un service de communication au public en ligne mettant à disposition des messages, images ou représentations faisant l’apologie ou provoquant directement à la commission d’actes terroristes, est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30.000 € d’amende. Le quantum de la peine (deux ans de prison et 30.000 € d’amende) est ici logiquement moins élevé que celui de l’infraction prévue à l’article 421-2-6, I 2° (c) (cinq ans de prison et 75.000 € d’amende) car ce délit n’est pas en relation avec une entreprise terroriste. De plus, la condamnation peut être évitée ici lorsque « la consultation est effectuée de bonne foi, résulte de l’exercice normal d’une profession ayant pour objet d’informer le public, intervient dans le cadre de recherches scientifiques ou est réalisée afin de servir de preuve en justice ». Ce moyen de défense, issu de l’article 421-2-5-2 du Code Pénal, invoqué par une personne poursuivie pour apologie du terrorisme, qui se prétendait « apprenti-journaliste » n’a cependant pas prospéré devant le tribunal correctionnel de Marseille le 15 septembre 2016.

Le nouvel article 421-2-5-1 du Code Pénal réprime quant à lui le fait d’extraire, de reproduire et de transmettre intentionnellement des données faisant l’apologie publique ou provoquant directement à des actes terroristes en lien avec l’article 6-1 de la loi n° 2004 575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique (5) et l’article 706-23 du Code de Procédure pénale (6).Ces agissement sont punis de cinq ans d’emprisonnement et de 75.000 € d’amende.

Ces nouvelles dispositions pénales sont conformes à la loi n°2004-475 du 21 juin 2004 pour la confiance en l’économie numérique, puisque selon le droit français, c’est avant tout la responsabilité de l’auteur du contenu illicite ( rédacteur de blog, auteur du post sur Facebook ou réalisateur d’une vidéo) qui doit être recherchée, même si le nouvel article 421-2-5-1 du Code Pénal a pour objet de condamner non seulement l’auteur du contenu, mais aussi celui qui reproduit ou transmet un contenu déjà existant.

B. Les condamnations prononcées pour apologie du terrorisme.

Depuis les lois du 13 novembre 2014 et du 3 juin 2016, de nombreuses personnes ont été condamnées pour apologie du terrorisme. Les preuves de la commission de ces délits sont collectées, soit grâce aux mouchards installés par les services de renseignement ou la police judiciaire sur les équipements informatiques des suspects, soit par la consultation de l’historique sur les appareils saisis lors des différentes perquisitions. Là encore, les récentes lois de 2014 et 2016 ont amélioré la lutte contre le terrorisme en renforçant les moyens mis à la disposition des enquêteurs. Ainsi, ils peuvent procéder à la captation des données informatiques qui s’affichent sur un écran mais aussi désormais à celles qui sont stockées dans un système informatique et recourir à des dispositifs techniques de proximité pour recueillir, par le biais d’une fausse antenne relais, les données de connexion de toutes les personnes détenant un périphérique électronique (téléphone cellulaire, ordinateur, tablette, etc.) dans une zone géographique déterminée (« IMSI catcher») (7) dans l’objectif d’identifier un équipement terminal ou le numéro d’abonnement de son utilisateur.

Les peines prononcées sont bien évidemment très variées dans leur quantum ( d’un mois de prison avec sursis à 5 ans de prison ferme) puisqu’il appartient au juge de respecter le principe de l’individualisation (8) de la peine qui vise à adapter la sanction, ainsi que ses modalités d’exécution, en tenant compte de la personnalité du condamné et des circonstances de la commission de l’infraction.

En 2015, 385 personnes ont été jugées coupables d’apologie du terrorisme (9), soit plus d’une par jour, alors qu’en 2014, seules une dizaine de condamnations avaient été prononcées sur le territoire national. A titre d’exemple, le 31 août 2016, le tribunal correctionnel de Montpellier a condamné le prévenu Khader Cikilli à 5 ans de prison, dont un an avec sursis, pour avoir fait la propagande de Daesh sur Facebook et Twitter, pendant plusieurs mois, notamment en partageant des vidéos de décapitation. Le tribunal correctionnel de Nanterre a pour sa part condamné un jeune homme de 22 ans à un an de prison ferme pour avoir posté sur Facebook une vidéo dans laquelle il se moquait du policier Ahmed Merabet, abattu lors de la fusillade à Charlie Hebdo. De même, le jeune homme de 24 ans qui a commenté sur Facebook la vidéo de l’assassinat de ce policier par le glaçant commentaire « c’est jour de fête » a été condamné à cinq mois de prison ferme en 2015. Le tribunal correctionnel de Paris a condamné le polémiste Dieudonné a deux mois de prison pour apologie du terrorisme, pour avoir écrit, le soir de la manifestation du 11 janvier 2015 en hommage à Charlie Hebdo, « Je me sens Charlie Coulibaly » en référence au preneur d’otages de l’Hyper Cacher de la porte de Vincennes sur son mur Facebook. Cette peine, assortie de 10.000 € d’amende, a été confirmée en appel le 21 juin 2016. Le 29 juillet 2016, le Tribunal Correctionnel de Saint Malo a sanctionné d’un an de prison ferme les propos « si j’avais été à la place du tueur, j’aurais pris un camion blindé pour pouvoir tuer toutes ces personnes. Une centaine de personnes tuées, c’est rien comparé à ce que j’aurais pu faire moi » postés sur le mur Facebook d’un homme de 32 ans. Le 8 août 2016, le Tribunal correctionnel de Chartes a condamné à deux ans de prison ferme, un homme de 31 ans, qui a consulté, à plusieurs reprises, des sites faisant l’apologie du terrorisme contenant des vidéos de décapitation et incitant à commettre des attentats par un post Facebook dans lequel il avait publié une photo de la Tour Montparnasse en indiquant « Montparnasse, quelle belle tour ?! On va lui rendre sa splendeur. Inch’Allah ». Le 15 septembre 2016, le Tribunal correctionnel de Marseille a condamné un homme de 28 ans à deux ans de prison ferme pour avoir consulté, à 143 reprises, des sites internet diffusant la propagande menée par Daech.

La diversité des peines prononcées s’explique par l’analyse des éléments ayant permis d’évaluer le degré de radicalisation et la dangerosité du prévenu, fiché « S » ou pas, volonté de partir en Syrie ou de commettre un attentat ou pas. Selon l’arrêt de la Cour d’Appel de Versailles du 19 novembre 2015 n°15/03187, dès lors que les propos tenus sont inquiétants et font clairement l’apologie du terrorisme, il y a lieu de retenir la culpabilité du prévenu. De plus, « compte tenu de la gravité de l’infraction et en raison de la personnalité du prévenu et de ses antécédents judiciaires, seule une peine de prison ferme est de nature à réprimer un tel comportement », ce qui explique l’absence de sursis dans certaines condamnations.

Une circulaire du 12 janvier 2015 du ministère de la justice avait d’ailleurs incité les procureurs à faire preuve « d’une grande fermeté pour toutes les infractions commises à la suite des attentas ». Ainsi, dans le contexte émotionnel fort, né des attentats des 13 novembre 2015 et du 14 juillet 2016, la répression s’est exercée avec sévérité et le Tribunal Correctionnel de Dijon a condamné un internaute qui avait baptisé son accès wifi « Daesh 21 » à trois mois de prison avec sursis le 3 novembre 2016. Le 17 mars 2015, la chambre criminelle de la Cour de Cassation (10) a estimé que l’inscription « né le 11 septembre : je suis une bombe » apposée sur le tee-shirt d’un enfant de trois ans constituait bien une apologie du terrorisme, alors que le tribunal correctionnel et la cour d’appel de Nîmes, par arrêt du 20 septembre 2013, avait relaxé les parents de cet enfant.

Juger en équité et faire preuve de discernement est indispensable puisque les effets d’une condamnation pour apologie du terrorisme se propagent à d’autres secteurs du droit, dont celui des affaires familiales. En effet, par un arrêt du 26 novembre 2015 n°14-07797, la Cour d’Appel de Versailles a estimé que la résidence principale de deux enfants mineurs devait être transférée du domicile de leur mère à celle de leur père en raison « d’un environnement qui professe des valeurs incompatibles avec l’ordre public républicain et présentant un danger de nature à compromettre l’ouverture nécessaire à leur épanouissement et à leur intégration dans une société plurielle ». En l’espèce, la mère, convertie à l’Islam dans une mouvance radicale et admiratrice de Daesh, avait été condamnée pour apologie du terrorisme.

II. Les mesures techniques mises en place et leur efficacité.

De manière pragmatique, pour lutter avec efficacité contre l’apologie du terrorisme et éviter les nombreuses poursuites pénales individuelles contre les auteurs des contenus illicites, il est rapidement apparu que la meilleure solution était de bloquer l’accès à ces sites Internet et de fait à tous les contenus illicites qu’ils contiennent.

A. Blocage de sites et déférencement.

Ainsi, la loi n°2014-1353 du 13 novembre 2014 relative à la lutte contre le terrorisme permet le blocage par l’autorité administrative des sites Internet provoquant à des actes de terrorisme ou en faisant l’apologie. Elle permet également à l’autorité administrative d’obtenir le retrait et de déréférencement de ces contenus auprès des éditeurs, hébergeurs et moteurs de recherche. Dans la pratique, le déférencement s’est avéré plus efficace que le blocage des sites relayant la propagande djihadiste dans la mesure où il existe des techniques de contournement du blocage avec l’utilisation de sites miroirs ou d’un proxy. Afin d’éviter toute mesure disproportionnée ou abusive, la loi avait soumis ce dispositif au contrôle d’une personnalité qualifiée désignée par la CNIL (11) chargée de vérifier le bien-fondé des demandes de retrait de contenus et de blocage formulées par l’Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l’information et de la communication (OCLCTIC).

Un décret n°2015-253 du 4 mars 2015, pris en application de la loi du 13 novembre 2014, est venu préciser la procédure permettant de demander aux exploitants de moteurs de recherche ou d’annuaires, le déférencement des sites incitant à la commission d’actes de terrorisme ou en faisant l’apologie. Ainsi, le ministre de l’intérieur devait transmettre les adresses de sites méconnaissant les dispositions du Code Pénal aux moteurs de recherche afin qu’ils procèdent au déférencement desdits sites, dans les 24 heures suivant cette notification.

L’état d’urgence a facilité la procédure requise pour le blocage ou le déférencement de sites puisque l’autorité administrative n’a désormais plus besoin d’adresser une demande de retrait préalable des contenus illicites et il n’est plus nécessaire de saisir la personne qualifiée désignée par la CNIL, chargée d’exercer un contrôle. De plus, selon l’article 4 de la loi n°2015-1501 du 20 novembre 2015, le ministre de l’Intérieur peut désormais ordonner le blocage de sites internet sans aucun délai et peut prendre toute mesure pour assurer l’interruption de tout service de communication au public en ligne. L’état d’urgence permet ainsi d’agir plus rapidement et plus efficacement contre ces sites car il est désormais possible d’obtenir très rapidement le retrait des contenus illicites faisant la propagande du terrorisme postés sur Facebook, sur un compte Twitter ou sur un blog, sans délai et sans tenir compte spécifiquement des statuts d’éditeur, d’hébergeur ou de fournisseurs d’accès à internet.

B. Les résultats et l’efficacité des mesures prises.

Selon les déclarations du ministre de l’Intérieur B. Cazeneuve du 26 janvier 2016 au Forum International de la Cybersécurité, près de 90 procédures judiciaires visant des activités terroristes ont pu être initiées en 2015 à la suite des 188 000 signalements reçus par la plateforme PHAROS (12) exploitée par les services de police et les unités de gendarmerie et près de 32 000 ( soit 16%) ont concerné les contenus de propagande ou d’apologie du terrorisme. De plus, 1 000 demandes de retrait et de déréférencement et 283 blocages de sites ont été réalisés. Enfin, 4800 comptes Twitter auraient été bloqués ou déférencés début 2015. A la date du 29 février 2016, 312 demandes de blocage de sites, 1439 demandes de retrait de contenus et 855 demandes de déréférencement de sites provoquant à des actes de terrorisme ou en faisant l’apologie, ou à caractère pédopornographique avaient été contrôlées. Les contenus à caractère terroriste représentant les 2/3 des contrôles opérés.

III. Les limites à la lutte contre l’apologie du terrorisme sur le net.

A. La subsistance de nombreux contenus illicites faisant l’apologie du terrorisme.

Malgré la mise en place de ces nouveaux dispositifs, de nombreux contenus diffusant la propagande terroriste subsistent et sont toujours visibles et accessibles sur les réseaux sociaux et les moteurs de recherche. En réalité, l’absence de coopération des plateformes Youtube, Twitter et Facebook a été avancée pour expliquer ce phénomène. Des réactions très vives contre ces sociétés ont pu être constatées après les attentats du 13 novembre 2015 à Paris, le père d’une victime du Bataclan n’ayant pas hésité à porter plainte (13) contre Google, Twitter et Facebook qu’il accusait d’avoir « sciemment » permis l’organisation des attaques qui ont fait 130 morts, en servant aux terroristes d’appui logistique, tant au niveau du recrutement de nouveaux combattants, qu’en terme de financement de Daech, allant jusqu’à affirmer que « les multinationales américaines tolèrent la propagande djihadiste dans un but purement financier ».

Il est certain que ces sociétés ont prospéré et basé leur réputation sur le principe de la neutralité des réseaux prônant l’égalité de traitement de tous les flux de données sur Internet et excluant toute discrimination à l’égard de la source, de la destination ou du contenu de l’information transmise sur le réseau. A cette conception s’ajoute également le problème de l’enfermement algorithmique, qui consiste à recommander et à proposer aux utilisateurs des moteurs de recherche et des réseaux sociaux des contenus similaires à ceux déjà consultés, en fonction de leurs centres d’intérêts ou de ceux de leurs contacts. Ce dispositif technique automatique a pour effet d’enrichir et d’alimenter sans fin les contenus illicites relatifs à la propagande terroriste conduisant à la radicalisation et au recrutement, tout en renforçant un sentiment de légitimité et d’appartenance à une communauté, pouvant favoriser le passage à l’acte. C’est la raison pour laquelle le gouvernement a déclaré, lors de la publication du plan destiné à lutter contre la radicalisation le 9 mai 2016, vouloir engager des accords négociés avec les acteurs privés du Web pour « lutter contre l’enfermement algorithmique », en demandant aux Facebook, Google, YouTube et Twitter de casser le cercle vicieux dans lequel les utilisateurs se confinent sur les réseaux sociaux.

B. Volonté de contraindre et réactions des géants du Web.

Cette volonté de contraindre les géants du web à collaborer à la lutte contre la propagande terroriste s’inscrit pleinement dans la résolution n°2015/2063 (INI) du Parlement européen prise à Strasbourg le 25 novembre 2015 sur la prévention de la radicalisation et du recrutement de citoyens de l’Union par des organisations terroristes. En effet, il a été rappelé à cette occasion que les entreprises actives dans le domaine de l’internet et des réseaux sociaux et les fournisseurs de services internet ont l’obligation légale de coopérer avec les autorités des États membres, en effaçant tout contenu illicite diffusant l’extrémisme violent, aussi rapidement que possible.

Le Parlement Européen a estimé aussi que les États membres devaient envisager des poursuites pénales contre les fournisseurs de services internet, les entreprises actives dans le domaine de l’internet et les réseaux sociaux, lorsqu’elles refusent de donner suite à une demande administrative ou judiciaire visant à effacer des contenus illicites faisant l’apologie du terrorisme dans leurs plateformes en ligne. Pour les États de l’Union Européenne, le refus ou l’absence de coopération délibérée de ces plateformes en ligne doivent être considérés comme un acte de complicité pouvant être assimilé à une intention criminelle ou à une négligence, étant rappelé qu’en droit français, selon l’article 121-7 du Code Pénal « est complice d’un crime ou d’un délit la personne qui sciemment, par aide ou assistance, en a facilité la préparation ou la consommation ».

Enfin, non seulement les géants du Web devraient procéder au retrait immédiat de tout contenu faisant l’apologie du terrorisme, mais encore l’industrie du web doit désormais faire en sorte de valoriser les messages de prévention de la radicalisation, destinés à contrer les messages faisant l’apologie du terrorisme, dans l’objectif de rendre la radicalisation par internet plus difficile. Si la condamnation morale et politique de la passivité de ces sociétés est unanime pour la diffusion de contenus violents, les injonctions de contribuer à la valorisation d’un contre-discours anti-terroriste délivrées par l’Union Européenne, ont quelque peu heurté, tant elles sont contradictoires avec le principe de liberté d’expression sur lequel ces sociétés ont bâti leur réputation et leur image de marque, privilégiant l’individu à la collectivité. Il est vrai également que la moralisation des contenus avait été obtenue par le passé exclusivement à la suite des contraintes légales exercées, comme cela avait été le cas pour Twitter qui avait été condamné, en première instance et en appel à Paris le 12 juin 2013, et sommé de communiquer les informations permettant d’identifier les auteurs des tweets racistes ou antisémites et de mettre en place un dispositif « facilement accessible et visible » permettant à toute personne de signaler des contenus illicites.

Depuis 2016, Facebook et Twitter et Google se sont mobilisés pour démontrer leur bonne volonté et ont mis en place plusieurs mesures pour participer à la luttre contre les contenus faisant l’apologie du terrorisme. Google a développé un algorithme permettant de proposer automatiquement aux utilisateurs qui émettent des requêtes liées au groupe terroriste des liens vers des sites d’anti-radicalisation. Facebook a déclaré avoir développé des cellules, sur différents points du globe, dédiées à lutter contre le terrorisme. En plus de suivre au plus près les profils signalés et leurs connexions ou de bannir certaines expressions, le réseau social travaillerait avec plusieurs acteurs de la société civile, dont des imams, pour aider à la déradicalisation. De son côté, Twitter a supprimé des milliers de comptes affiliés à Daech. Malgré tous ces efforts, la propagande terroriste sur les réseaux reste difficile à contenir car désormais les applications de messagerie comme Telegram permettent de crypter les communications et d’envoyer du contenu qui s’autodétruit une fois lu, et ce, même si Pavel Durov, fondateur et PDG de l’application, a annoncé qu’ils avaient supprimé soixante-dix-huit chaines liées au groupe terroriste.

Conclusion :

Les dispositions législatives créées et les chiffres avancés pour la suppression des contenus illicites, le blocage et le déférencement de sites faisant l’aopologie du terrorisme, attestent de l’efficacité des mesures pénales mises en place. Toutefois, si on ne peut bien évidemment que souscrire à la lutte engagée contre le terrorisme, il semble nécessaire de s’interroger sur l’équilibre entre la sûreté et le respect des droits fondamentaux, dont la liberté d’expression.

A ce titre, on peut regretter que le juge judiciaire ait été écarté des nouvelles dispositions relatives au blocage et au déférencement des sites internet. En effet, l’apologie et la provocation aux actes terroristes sont des notions qui prêtent à des interprétations subjectives et il ne paraît pas pertinent d’écarter les garanties attachées au contrôle juridictionnel, le juge étant la personne la mieux qualifiée pour garantir un équilibre entre liberté d’expression et respect de l’ordre public. De plus, associer pleinement le pouvoir judiciaire à cette lutte est indispensable pour garantir une saine séparation des pouvoirs exécutif et judiciaire et aussi pour prévenir tout risque de dérives vers le délit d’opinion.

Si la circulaire du Garde des sceaux Mme Taubira du 12 janvier 2015 incitait les procureurs à faire preuve « d’une grande fermeté pour toutes les infractions faisant l’apologie du terrorisme constatées à la suite des attentats », le Syndicat de la Magistrature avait vivement critiqué le nombre et la sévérité des condamnations prononcées à la suite des attentats de Charlie Hebdo par les propos suivants : «Telle est la désastreuse justice produite par la loi du 13 novembre 2014…comme si la justice pénale, devenue l’exutoire de la condamnation morale, pouvait faire l’économie d’un discernement plus que jamais nécessaire en ces temps troublés».

Cette question est d’autant plus d’actualité que la Cour de Cassation, par un arrêt n°16-90024 du 29 novembre 2016 a jugé que la question prioritaire de constitutionnalité, posée sur la présomption de mauvaise foi de certains citoyens, déduite de la seule consultation des services publics en ligne faisant l’apologie du terrorisme, contraire à la présomption d’innocence et rompant l’égalité avec d’autres citoyens, présumés de bonne foi, présentait un caractère sérieux et justifiait un renvoi pour avis devant le conseil constitutionnel. Manifestement, le régime d’exception mis en place par l’état d’urgence et les lois pénales devenues permanentes pour la lutte contre l’apologie du terrorisme soulèvent d’importantes interrogations et il existe une volonté d’encadrer strictement les limites portées à la liberté d’expression. Si l’ingérence de l’État est justifiée par l’intérêt général, elle doit être proportionnée par rapport aux objectifs poursuivis. La lutte contre le terrorisme pouvant effectivement s’exercer en préservant les droits issus de la démocratie et en prévenant les éventuelles dérives.

Maître Cécile Doutriaux est Avocate, et membre de la Chaire Cyberdéfense des écoles de Saint Cyr.

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