Traditionnellement jugée comme une simple infraction, la contrefaçon représente actuellement un vrai défi pour les Etats, les citoyens, l’environnement, et, surtout, pour une économie toujours plus mondialisée. Elle nuit en effet fortement aux entreprises car elle détruit le produit de l’innovation, peut avoir des répercussions dommageables sur l’emploi, et par son caractère non conforme aux normes de sécurité elle cause d’importants préjudices à la santé et la sécurité des consommateurs. En sus, elle nuit à la croissance économique, a un impact négatif sur la fiscalité des gouvernements et, par conséquent, sur le fonctionnement des services publics. Prenant des tournures de plus en plus variées, la contrefaçon est donc l’affaire de tous[1]. Le Rapport « Trade in Counterfeit and Pirated Goods », élaboré conjointement par l’OCDE[2] et l’EUIPO[3] en avril 2016 dans l’objectif de mettre à la disposition des gouvernements un état des lieux rigoureux et mis à jour de la contrefaçon dans le monde, présente d’ailleurs des chiffres préoccupants : la contrefaçon représente 2.5% du commerce mondial, soit un volume d’échange qui s’évalue à 461 milliards de dollars en 2013, et 5% des importations dans l’Union européenne soit un total de 85 milliards d’euros[4].

L’apparition d’Internet, désormais premier vecteur de distribution des produits de contrefaçon, s’est avérée particulièrement nuisible pour les droits de propriété intellectuelle et a rendu la maîtrise du phénomène encore plus ardue. Il a fragmenté la contrefaçon et a été à l’origine d’une multiplication et d’une diversification des modus operandi au service des contrefacteurs. Par ailleurs, internet a contribué à rendre les contrefacteurs invisibles et leur localisation malaisée, et parallèlement, l’interception des produits contrefaisants difficile. Le développement des plateformes de e-commerce telles qu’Amazon ou eBay, et des réseaux sociaux tels que Facebook ou Twitter, a inévitablement propagé le phénomène. Or, l’acquisition de produits contrefaits sur Internet présente des risques plus élevés pour le consommateur. Le contrefacteur peut en effet voler ses données personnelles, lui envoyer des spams, des malwares, débiter indument son compte bancaire, voire usurper son identité. En outre, si la majorité des échanges de contrefaçons se réalisent via Internet, un volume non négligeable d’échanges se fait aussi sur le Darknet (Réseau virtuel privé) et le Deep web (Web invisible)[5]. C’est ce qu’a démontré l’affaire « Silk Road » en 2013. Il s’agissait en l’espèce d’un site internet dissimulé dans le Deep web dont l’accès était réservé aux utilisateurs du réseau décentralisé TOR. Ce réseau avait pour caractéristique principale de garantir un anonymat total et une impossibilité de tracer les paiements[6]. D’après le FBI, le site Silk Road était un immense marché noir en ligne sur lequel étaient échangés de multiples produits illicites dont des contrefaçons, des stupéfiants et des armes en très grande quantité par des Bitcoins. Cette monnaie virtuelle a été utilisée par les auteurs de contrefaçon pour s’assurer de préserver leur anonymat et pour garantir la confidentialité des échanges. Pour ce site internet, l’épilogue judiciaire a été particulièrement brutal : l’administrateur du site internet « Silk Road » a été condamné pour association de malfaiteurs au sein d’un trafic de drogue, blanchiment d’argent, trafic de contrefaçon et pour diverses infractions de cybercriminalité[7].

Bien que de notables efforts ont été déployés sur le plan législatif, notamment par l’adoption de la loi du 21 juin 2004 dite LCEN[8], de la loi du 12 juin 2009 dite HADOPI[9], de la loi du 14 mars 2011 dite LOPPSI 2,[10] ou plus récemment de la loi du 11 mars 2014 renforçant la lutte contre la contrefaçon[11], une forte asymétrie persiste entre l’ampleur des conséquences de la contrefaçon et les moyens de répression. Le Rapport Unifab, nommé « Contrefaçon & Terrorisme »[12], met habilement en exergue l’indéniable lien entre la criminalité organisée, le terrorisme et la contrefaçon. Le directeur d’Interpol Ronald L. Noble et le sénateur français Richard Yung ont, à maintes reprises, attiré l’attention cette relation[13]. Ils ont notamment souligné que l’utilisation privilégiée de la contrefaçon par les organisations terroristes génèrent des profits illicites considérables permettant la prolifération de leurs actes. Il apparait ainsi regrettable que la dernière loi renforçant la lutte contre la contrefaçon précitée n’ait pas pris en considération cette problématique pourtant nettement évoquée par les parlementaires lors des discussions[14].

Si l’anéantissement total de ce fléau semble quelque peu illusoire, d’aucuns essaient tant bien que mal de proposer des refontes afin de moderniser l’arsenal juridique actuel, notamment sur plan numérique. La lutte passe nécessairement par la mutualisation des efforts entre les titulaires de droits, les forces de police, les magistrats, les autorités douanières, et surtout, les intermédiaires techniques de l’internet[15]. Or, selon le député Philippe Gosselin, les obligations qui pèsent sur les intermédiaires techniques de l’internet, prévoyant un régime de responsabilité atténuée (soit une absence de surveillance générale et de recherche de contenu illicite), n’ont pas produit le résultat escompté. Partant, le 8 janvier 2016, ledit député a présenté un amendement à l’alinéa 3 de l’article 23 du projet de loi pour une République numérique destiné à impliquer davantage les plateformes en ligne dans la lutte. Il porte sur la mise en place d’un « devoir de diligence » à l’égard des plateformes en ligne. Le « devoir de diligence » conduira les plateformes en ligne à prendre « toutes mesures raisonnables, adéquates et proactives afin de protéger les consommateurs et les titulaires de droits de propriété intellectuelle contre la promotion, la commercialisation et la diffusion de produits contrefaisants tels que définis aux articles L521-1, L615-1 et L716-1 du Code de la propriété intellectuelle. » Cette nouvelle obligation devra être calquée sur le modèle du devoir de diligence déjà existant en matière de contenus pédopornographique, de contenus faisant l’apologie ou provoquant au terrorisme, de contenus incitant à la haine ou encore de contenus illégaux de jeux d’argent en ligne[16]. Bien que la Secrétaire d’Etat chargée du Numérique estime que ce « devoir de diligence » n’est qu’un rappel de l’obligation de droit positif de retirer les contenus illicites prévus par l’article 6 de la LCEN, les titulaires de droits se réjouissent de cet amendement en ce qu’il participe à une meilleure protection et à une prise en considération accrue des droits de propriété intellectuelle en France. Ils y voient également une potentielle source d’inspiration pour une future législation prise dans un cadre européen[17]. Le 3 mai 2016, lors de l’examen du projet de loi par le Sénat, cet amendement a été adopté.

Examiné et adopté le 29 juin 2016 par la Commission mixte paritaire, la nouvelle version du projet de loi pour une République numérique n’a pas encore été publiée. Toutefois, la synthèse du projet de loi fait apparaitre que l’article 23, tel qu’adopté par le Sénat, a été maintenu mais modifié par la Commission[18]. Reste à savoir si les membres de la Commission mixte paritaire ont fait le choix de supprimer ou de simplement modifier ce « devoir de diligence » prévu par cet article.

Ces atermoiements législatifs témoignent d’une chose : les réformes sont difficiles à mener et c’est souvent une politique des « petits pas » qui prévaut en la matière. Concomitamment, les réseaux de contrefaçon semblent chaque jour mieux structurés et plus diffus. L’évolution législative relative aux intermédiaires techniques envisagée semble, dès lors, aller dans le bon sens, et ce même si le chemin de la réforme globale semble encore long.

[1] Rapport Unifab, « Contrefaçon & Terrorisme », 2015, p. 2

[2] Organisation de coopération et de développement économiques

[3] Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle

[4] Rapport OCDE et EUIPO, « Trade in Counterfeit and Pirated Goods», 2016, p. 11

[5] Rapport Unifab, « Contrefaçon & Terrorisme », opt. cit., p. 25

[6] M. QUEMENER, Criminalité économique et financière à l’ère numérique, Economica, 2015, p. 114

[7] S. ALMASEANU, « Le traitement pénal du Bitcoin et des autres monnaies virtuelles », Gaz. Pal., n° 242, 30 août 2014, p. 11

[8] Loi n°2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique

[9] Loi n°2009-669 du 12 juin 2009 favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet

[10] Loi n°2011-267 du 14 mars 2011 d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure

[11] Loi n°2014-315 du 11 mars 2014 renforçant la lutte contre la contrefaçon.

[12] Rapport Unifab, « Contrefaçon & Terrorisme », opt. cit., p. 2

[13] Ibidem, p. 5.

[14] https://www.senat.fr/leg/ppl12-866.html

[15] Notamment les hébergeurs de contenus (moteurs de recherche, réseaux sociaux, plateforme de commerce en ligne, etc.) et les fournisseurs d’accès à internet (Free, Bouygues Telecom, SFR etc.).

[16] Amendement n°CL367 présenté à l’Assemblée par Monsieur Gosselin le 8 janvier 2016.

[17] http://www.baldassari-avocats.com/actualite-Adoption-par-le-S%C3%A9nat-d%E2%80%99un-amendement-relatif-au-devoir-de-diligence-des-plateformes-Internet-dans-le-projet-de-loi-pour-une-R%C3%A9publique-Num%C3%A9rique-71

[18] http://www.lioneltardy.org/media/02/01/3748060420.JPG

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